Le matin, très tôt. Le premier soleil n’était pas encore levé, et la baie de Liosyein tout entière était cachée par un brouillard blanc venu de l’océan. Les grandes collines recouvertes de toundra, lichens, mousses, fougères et joncs, graminées, fleurs, arbustes à baies, au fond, étaient plongées dans le blanc. On ne pouvait voir où elles finissaient, où commençaient les prairies et les domas, les cubes blancs des banlieusis les plus riches. La voie sableuse avait disparu, avec les domas et les pâturages des arnapithèques de Juk de l’autre côté ; par-delà, il n’y avait plus les dunes blanches revêtues d’une herbe rougeâtre ; rien n’indiquait ce qui était la grève, ni où se trouvait l’océan. Une rosée abondante était tombée ; l’herbe était bleue. De grosses gouttes se suspendaient aux buissons, prêtes à tomber, sans tomber pourtant ; le zeo argenté et floconneux pendait mollement à ses longues tiges ; l’humidité inclinait jusqu’à terre toutes les renoncules et les novoroses des jardins. Les froides onagraceae étaient trempées ; de rondes perles de rosée reposaient sur les feuilles plates des tropaeolum. On eût dit que l’océan était venu doucement battre jusque là dans les ténèbres, qu’une vague immense et unique était venue clapoter, comme la respiration même de l’élément liquide.

Tout d’abord la pensée. La pensée est consistance et je suis la pensée. Je suis consistance. Le lieu est sombre, il règne une semi obscurité que quelques rais de lumière commencent à dissiper. La paroi de la pièce est de couleur kaki, veinée de filaments verdâtres. Quelque chose coule. Il y a une respiration. Une odeur pestilentielle dans ce lieu. Tout est extrêmement calme et au dehors le premier soleil se lève. Doucement. Dans l’ouverture, le bulbe de vériverre découpé par les tenants de boismétal en toile d’araigne, on voit le ciel bleu violet profond déchiré du rai jaune au dehors qui monte dans l’espace. Mon corps se souvient de tout. Quelque chose coule. Le jour se lève sur la baie de Liosyein. Dans son cube de vériverre lentement la schrapzen se meut. Lueur dans les veines vertes. Lueur dans les yeux. La schrapzen Manide ouvre les yeux. Rosée du bocal. Plonger racines. Ici. Là. Morsure de l’ensoi ? Qui ici est ? Peu à peu se lève le jour. La découpe lumineuse de la fenêtre sur le sol, nette, qui s’allonge.